Le samedi 9 avril, qui est le 40 ème jour selon le calendrier version «Nuit Debout», plus de 120 000 personnes ont manifesté à Paris alors que 200 cortèges étaient organisés partout en France montrant ainsi que la mobilisation contre le projet «loi travail» est toujours dynamique. La mobilisation parisienne a été forte et a impliqué au delà des cercles militants par la présence de salariés venus de beaucoup de secteurs, des précaires, des étudiants et des intermittents du spectacle. Une nouveauté cependant : la présence de forces de police en très grand nombre et très provocatrices et à l’arrivée de Place de la Nation les manifestants étaient encerclés et se retrouvaient face à des charges très violentes. Le soir même, la Place de la République était de nouveau occupée par des personnes de tous horizons, montrant clairement que «Nuit Debout» établi une connexion entre les étudiants, les salariés, les privés d’emploi, les retraités les précaires, les activistes contre les violences policières et les contrôles racistes au faciès, les féministes, les privés de logis, les migrants,  et les LGBT.

 En France le mouvement contre la «loi travail» se développe. Le gouvernement tente de détricoter davantage le code du travail afin d’attirer des investissements et de plaire aux employeurs. Le lutte implique de nombreux salariés de différents secteurs, précaires, étudiants et migrants tout en ouvrant un espace d’une aspiration politique qui va au-delà du refus d’une loi. La grève, ses possibilités, ses conditions et sa signification politique, occupent ainsi le débat. Du point de vue du processus de la TSS (Grève Sociale transnationale) ce qui se passe en France peut être considéré comme une étape allant vers une bonne direction. Avec cette intervention, nous tenons à souligner ce qui est pertinent dans la mobilisation française et sa signification transnationale. La «loi travail» française, de ce fait, entre en résonance avec d’autres instruments de précarisation qui sont une part de l’ordre du jour des politiques d’austérité européennes et du «régime de la crise» qui mettent en œuvre une réorganisation transnationale du travail dont la réponse politique en tant que riposte exige un nouveau niveau d’organisation des luttes. Il est temps pour nous de franchir une autre étape.

Ce 31 mars, plus de 200 défilés ont été organisés sur tout le territoire afin de s’opposer au projet de la “loi travail” à l’appel des organisations syndicales CGT (Confédération Générale du travail), FO (Force Ouvrière), FSU (Fédération Syndicale Unitaire, fonction publique, en particulier l’enseignement) et Union syndicale Solidaires ainsi que des organisations étudiantes et lycéennes, Unef (Union nationale des étudiants de france), Solidaires Etudiants, FIDL (Fédération Indépendante et Démocratique Lycéenne) et UNL (Union Nationale Lycéenne). Dès le 9 mars on pouvait sentir qu’il se passait «quelque chose» mais avec 1,2 millions de personnes mobilisées, soit le double des fois précédentes  on pouvait constater que le mouvement était à un tournant et que la mobilisation dépassait largement les simples cercles militants habituels. Egalement, les organisations et collectifs de chômeurs et précaires étaient présents eux aussi. Des assemblées générales et des réunions d’information sont organisées dans les universités et des assemblées de grévistes et de militants avec jeunes, privés d’emploi et salariés ont lieu dans un certain nombre de Bourses du Travail. La pétition lancée sur internet «loi travail non merci» récolte désormais plus d’un millions de signatures et le site internet «On vaut mieux que ça» lancé par des jeunes a été un point d’appui tandis que l’appel «bloquons tout» prenant position sur une généralisation de la grève et signé entre autre de membres de structures CGT, CNT (Confédération Nationale du travail, anarcho­syndicalistes) et de l’Union syndicale Solidaires suit son bout de chemin. Dans les cortèges, il y a certes la revendication du retrait de la loi travail, mais aussi celle du partage du temps de travail, avec passage de la semaine à 32 heures (actuellement la durée légale du temps de travail est de 35h par semaine mais avec les diverses dérogations mises en place, la durée véritable des salariés en France tourne autour de 38 heures par semaine), ainsi que l’arrêt des politiques libérales de destruction sociale et la mise en place d’un meilleur partage des richesses. Tandis que des rassemblements sur les places voient le jour avec l’initiative de «Nuit Debout» à s’organisent à Montpellier, Rennes, Marseille, Nice, Bordeaux, Lyon…et Paris où Place de la République et ce, depuis le 31 mars au soir des initiatives d’assemblées, de regroupement et de réunions réunissent plusieurs milliers de personnes jeunes et «moins jeunes», «organisés» et «inorganisés», indiquant aussi qu’il existe un véritable besoin de débats et d’échanges autour des problèmes de société, des questions du politique…

A l’heure actuelle nul sait quelles formes et quelles suites prendra ce «mouvement des places» qui se construit jour après jour. Au niveau du gouvernement ça cherche la porte de sortie tout en essayant de diviser le mouvement. Pour ce faire : convoquer «au sommet» les organisations étudiantes dans l’optique de mettre fin aux mouvements dans les universités. Jusqu’à aujourd’hui on peut constater que l’intersyndicale tient bon et l’alliance avec les organisations de jeunesse aussi. Ainsi, de nouvelles dates complètent l’agenda, le 5, 9 , 14 et 28 avril. Par ailleurs, un nouveau front de contestation social semble apparaître, celui des intermittents du spectacle. En effet, des «efforts supplémentaires» vont être demandés aux salariés intermittents de ce secteur lorsqu’ils se retrouvent en situation de chômage. Ainsi, le 4 avril au soir, une assemblée générale à l’appel du syndicat CGT Spectacle et de la coordination des intermittents et précaires (CIP) a rassemblé plusieurs milliers de personnes au Théâtre de la Colline à Paris et des appels à se joindre aux manifestations du 9 avril ont circulé. C’est donc une convergence entre la jeunesse, les salariés, les privés d’emploi et les intermittents qui se préparent. La «question sociale» et la possibilité d’une éventuelle généralisation de la grève, font donc un retour assez inattendu , avec quand même une bonne nouvelle : le silence depuis maintenant un mois des responsables politiques du Front National, parti d’extrême droite dont les derniers succès sont basés sur la peur sociale et du lendemain incertain ainsi que celle des réfugiés et migrants. Le silence des nationalistes doit être combiné avec notre volonté de briser les divisions nationales et étatiques afin de lutter contre la précarisation à l’échelle transnationale. Le mouvement se construit, affaire à suivre!

Si un lien a pu se former entre différentes figures sociales du monde du travail dans toute la France, il est vrai aussi que la connexion en terme de revendications peut être pour le moment assez absente, en l’occurrence de part les frontières alors que les salariés européens partagent un processus de plus en plus évident de précarisation de masse. Ce processus est fondé sur l’exploitation des différences du niveau social entre les Etats et se traduit par des lois qui mettent en pratique un véritable régime des frontières et un gouvernement de la mobilité. L’un des objectif de la loi travail est de jouer sur les règles transnationales qui est caractérisé par de nombreuses entreprises, preuve en est lorsqu’il apparaît clairement dans ce projet de loi, de justifier des plans de licenciements massif en prenant en considération comme critère le seul « état de santé» de l’entreprise à niveau national et non plus au niveau international (voir le cas de la compagnie allemande Continental lors de la fermeture de l’usine de Clairoix en France). Ainsi, on peut dès lors faire « confiance » aux services économiques et financiers des compagnies transnationales pour « justifier » baisses de chiffre d’affaire et chutes de production ! La loi travail favorisera en conséquence les multinationales qui jouent sur les déplacements de production et les différences salariales   entre les Etats. Ainsi, c’est aussi au niveau transnational qu’il faut construire une opposition à une telle loi et établir un contre discours. Le défi ne se pose pas qu’à l’échelle nationale France mais au niveau européen, si ce n’est au monde entier, car c’est à l’échelle mondiale que les chaînes transnationales de l’exploitation se développent.

C’est dans ce cadre là que le projet de construire un processus vers une grève transnationale  trouve une certaine pertinence. Mettre en œuvre un contre discours transnational est donc notre premier pari. Par quels moyens ? On peut difficilement construire un tel discours par un empilement de revendications propre aux mouvements sociaux de chaque Etat, mais bien au contraire, chercher une construction de revendications communes et transversales, qui serviraient de point d’appui afin de s’opposer et de détruire à la base le mécanisme de l’exploitation avec lequel jouent les compagnies transnationales à travers la mobilité tant des travailleur et de la force de travail que des capitaux et des lieux de production. Autrement dit, lorsque par exemple IBM déplace sa production située en France en Hongrie,  la réponse serait d’être en mesure d’agir au niveau au moins européen afin de contre- attaquer et permettre de nous défendre d’une précarisation imposée à travers la mobilité.

La nécessité de gouverner les migrations qui existent en Europe depuis longtemps, à travers un catégorisation qui provoque une séparation de plus en plus articulée entre migrant « in et out», qu’on protège et qu’on protège pas, est juste en apparence un fait détaché de ce qu’on viens d’énoncer plus haut. Ainsi, la faiblesse d’apparition politique des migrants dans le cadre de ce qui se passe en ce moment à Paris est en quelque sorte une traduction pratique des conséquences de ce gouvernement de la mobilité. Les formes de cette séparation, provoquent ainsi une situation d’extrême exploitation qui précarise un vaste ensemble de travailleuses et de travailleurs par delà les catégories professionnelles. La condition des migrants est donc exemplaire des attaques qui touchent le monde du travail. La question du gouvernement des migrations et ce, à travers et dans les États est une question centrale pour des mobilisations qui ont pour objectif une grève général et de tout bloquer, car si les exploitables par excellence, ne se sentent pas inclus dans cette lutte, celle ci risque manquer son objectif qui a pour cible cette infrastructure de la précarité qui nous affaiblit toutes et tous.

Le défi concernant le processus politique au niveau transnational serait de pouvoir relier le mouvement actuel en France avec les conditions des millions de travailleurs précaires, étudiants et migrants à travers l’Europe. Ce qui suppose des revendications communes. Comment pourrait-on organiser le fait que des revendications comme un salaire minimum européen, une protection sociale européenne, la création d’un revenu garanti, un visa européen pour tous les migrants puissent se structurer à partir du mouvement des places en France et traverser ainsi jusqu’à l’autre bout du continent pour arriver dans les usines et les différentes entreprises? Comment construire des points communs à travers les frontières ? Comment faire en sorte que ces revendications puissent être un point d’appui à la construction d’un mouvement transnational?

Sud Commerce pour le Transnational Social Strike